
déboires
j’ai bu
le violet transparent des raisins sous la pluie
le rose ascendant où des lèvres se reposent
le rouge astringent
le blanc spumescent
j’ai bu tant de choses sans même y penser
le vert déroutant dans les forêts closes
le jaune suppurant des regards désertés
le gris argenté des miroirs dépolis
j’ai bu ma soif même
et maintenant je suis noir
la fleur au fusil
la fleur au fusil
jamais ne fane
jamais ne meure même
s’il pleut des pétales
et des larmes roses
la fleur au fusil
ne craint pas les balles
elle prospère aux sons
des bruits imbéciles
des terres promises
la fleur au fusil
est une immortelle
elle rêve de bouquets d’amour
de parfums de lèvres d’amants
ne connaît que la vase le sang
et le chant du canon
et quand enfin le fusil s’endort
elle veille encore sur les morts
comme si de rien n’était
la fleur au fusil
fleurit en amnésie
dans les chants du départ
sur les chemins sans retour
où tout passe
par pertes et profits
mais la fleur n’est pas le fusil
la fleur elle
n’a pas de prix
hymne
Ô doux leurres des boucs émissaires!
la sous-France, mère de tous nos maux?
aux armes mitoyens de la haine ordinaire
fomentant la détestation
pointez pointez l’angle étranger
et que le sang innocent
indure en nos sillons
Cahier d’écriture
- parle moi du mot être, lettre après lettre
- d’abord ce joli nœud si heureux protégé d’un vol d’ange
puis ces deux traits en tête à tête pour croiser nos destins
voilà la dent du bonheur, roulis de rires dans l’air
enfin la boucle à nue pour tout recommencer
- Comment as tu osé? de l’être on ne peut disposer
-pardonne au pèlerin mais j’ai si longtemps cherché
le mot du divin dans les livres sacrés
-et l’as tu trouvé?
- là, sous le doigt d’un enfant
pointant le dictionnaire
Eurêka
- je cherche le précieux
-creuse petit vers
creuse mange la terre
-je cherche le précieux
-ton vers n’a pas de fond
tu erres de vers en vers
noire est la mine où tu te perds
-je cherche le précieux
j’arrive au bout du monde
tout au bout de la terre
Eurêka
ils m’ont tendu la main
piqûre d'Epicure
non non non aux peines à jouir!
la vie est un fruit
pressez bien le jus
goûtez bien la chaire
avalez les pépins
mot à mot
mots sentiers
lumières noires sur la nuit blanche
du papier
mots en tiers
décimant aux cimetières
des non dits
mots entiers
lunes noires sur fond blanc
regardant l’infini
Hibernation
Pour cette fois
échappons aux chapons
aux cadeaux décadents
assommons les saumons
sapons les sapins
et la messe des inuits
sur la banquise dévote
trébuchons sur la bûche
réveillons réveillons Dieu
avant messidor
Non! bernons nous encore
hibernons nos remords
buvons à la gloire du barbu
nous aurons foie en nous
quand nous serons saouls
nous prierons les jambons
et les nains de jardins
avant qu’on nous bâillonne
qu’on nous cryogénise
jusqu’aux prochaines élections
coq
franc coq en fer
le coq est à la lune et la lune à la coque
fier coq Icare
nous battrons le briquet tu battras la breloque
prie coq en frac
car la flèche est tendue et au pont les archers
gare aux coq-Art
prête nous donc ta plume nous t’aimerons à croquer
au déversoir
au versant du soir
la Seine lascive
étend là son aile de cormoran
lessive l’Eure mourant
à revers du jour
le noie dans un limon d’argent
une limaille de fer
elle digère l’Eure aux sels artificiels
comme on digère le temps
le long du quai à palabre
on boit des remontants
on guette c’est selon
la sirène des avalants
où l’ondine des poètes
sous l’ombre d’un cygne qui s’en va
oscillant dans le Rimmel
trop près du déversoir
pis de l’arche
𝜋
comme l’aspic
se love au pont
de l’eau vers l’eau de là
aspire en volute
la voûte de l’oeil
𝜋
épie en canon
comme nid de vipères
ce rond d’ombre plus qu’étroit
par la spire envoûtée
𝜋
inspire le regard vampire
à boire et pisser
le bleu rare du ciel
au goulot